Comme dans les dossiers Kerneos et MOM, les industriels n’hésitent plus à appliquer les méthodes du private equity.

A force de voir les fonds de LBO (leveraged buy-out) remporter les enchères sur des questions autres que le prix, les industriels ont décidé de réagir. Désormais, il n’est pas rare de voir un acquéreur stratégique proposer aux équipes dirigeantes d’une cible un management package, cet outil de partage de la plus-value systématiquement mis en place lors d’un LBO. En 2016, Imerys et le groupe Bel, entre autres, ont adopté cette méthode pour acquérir respectivement Kerneos auprès d’Astorg et Materne Mont Blanc (MOM) auprès de LBO France. « C’est une tendance qui se développe mais ce n’est pas pour autant une nouvelle habitude des industriels. Cette approche reste spécifique à certaines transactions, dans lesquelles l’industriel souhaite intégrer l’équipe dirigeante », tempèrent Pierre-Arnaud de Lacharrière et Olivier Barret, managing partners de Sycomore CF.

La structure de ces management packages élaborés par les industriels peut prendre des formes très variées répondant aux spécificités des transactions. L’acquisition de 100 % ou simplement d’une participation majoritaire au capital de la cible conditionne le montage. « Quand les managers sont fondateurs de l’entreprise ou très présents à son capital, l’industriel souhaite généralement qu’ils réinvestissent pour s’assurer de la pérennité de la gestion et de la création de valeur. Il peut alors tout à fait utiliser les mêmes outils ‘ratchet’ (mécanisme de relution au capital) ou de ‘sweet equity’ (accès privilégié au capital par rapport à l’actionnaire majoritaire) que les fonds de LBO », observe un conseil financier de managers. « Les ‘management packages’ classiques restent rares de la part les industriels car ils ne sont pas à l’aise en termes de gouvernance avec un actionnaire minoritaire qui est également opérationnel », nuance Lionel Scotto, avocat associé de Scotto & Associés.

Une autre solution consiste à négocier, au moment de l’acquisition, une méthode de valorisation à terme des actions détenues par les dirigeants en fonction des performances opérationnelles réalisées et d’un calendrier déterminé. « Toutes les formules de valorisation peuvent être envisagées », précise un banquier.

Actions fantômes

La problématique essentielle est l’horizon de liquidité des managers car, contrairement aux fonds de LBO, les industriels n’acquièrent pas les entreprises pour quelques années seulement. La structuration des management packages doit donc prévoir des fenêtres de liquidités pour les managers. « Si la société acheteuse est cotée, elle peut convertir en actions cotées la participation des managers qui trouveront leur liquidité sur le marché. Sinon, l’industriel rachète leurs parts sur sa trésorerie », explique Jérôme Laurre, managing partner chez Degroof Petercam.

Si l’industriel veut détenir 100 % de la cible tout en gardant ses dirigeants, il doit recourir à des outils différents. « Pour s’assurer de la présence des managers dans l’entreprise pendant une certaine période, l’acquéreur leur offre un ‘welcome bonus’. Il leur attribue des actions gratuites Macron avec une période de ‘vesting’ (durée entre l’attribution des actions et leur acquisition effective) à respecter, sans condition de performance », détaille Lionel Scotto.

Pour inciter néanmoins ces managers à créer de la valeur, l’industriel recourt alors à des « phantom stocks ». Il s’agit d’actions virtuelles qui répondent à la même mécanique qu’un outil de performance lié au TRI (taux de rendement interne) dans le cas d’un LBO, mais basées sur la croissance de l’Ebitda. Meilleure est la performance, plus le bonus est élevé, de la même manière qu’un instrument ratchet. Cet outil s’avère moins généreux que ceux du private equity mais présente l’avantage pour les managers d’éviter d’investir dans la société. Ces bonus, traités comme du salaire, sont beaucoup plus fiscalisés que les plus-values sur valeurs mobilières utilisées dans les packages de LBO. L’objectif pour les managers comme pour l’acquéreur est donc de n’y avoir recours que pour une période de transition de quelques années. Une fois la cible intégrée et la performance réalisée, l’industriel fait bénéficier les managers du programme de LTI (long term incentive) destiné à l’ensemble des cadres du groupe. « L’addition de ces trois composantes peut être égale à un ‘management package’ de LBO en termes de gains, mais sans le risque financier. Cela peut donc être déterminant dans les enchères », souligne Lionel Scotto.

Cette nouvelle approche des industriels rebat les cartes dans les batailles pour remporter les plus beaux actifs. « L’époque où les fonds se revendaient systématiquement les sociétés entre eux est révolue », conclut un conseil financier.